zone lisière
Zones lisières. Passerelle et pilotis. Méandre. Deltas
Méandres, sinuosités, circulation des fluides, respiration, os : ce qui nous constitue et ce qui constitue le monde est ce avec quoi je fais la sculpture. Ce que je cherche intrinsèquement - non par la volonté - c’est une présence, quelque chose de vivant qui se tient au monde, ancré et aérien. Une forme autonome qui passe par moi mais qui vient d’ailleurs ; qui porte une trace du monde, comme quelque chose d’ancien ou du dehors ; de vaste.
Travailler le bois en taille directe est un rapport de corps et d’énergie. C’est un processus, une co-évolution avec la matière ; une relation d’êtres-au-monde. C’est être en relation avec les éléments et les principes d’édification du monde. 
Se sentir décentralisée. Comme un arbre. Avancer entièrement, avec l’espace,  avec toute la puissance de ce qui n’est pas révélé, visible, nommé – mais qui existe. Appuyé sur le vent ou sur l’instabilité, je sens que cela est solide car cela est vivant, fondamental.
Il y a des mouvements et des forces contraires ; mon travail cherche à conjuguer ces forces, à ordonner quelque chose du [chaospoétique], à comprendre comment je peux faire pousser ensemble horizontale, verticale et oblique, autrement dit : tenir debout, sur pilotis, dans le vent. Tenir debout, appuyé sur le mouvant du monde.
De tailler des formes aussi évidentes qu’un os ou un méandre, sans que ce soit ni l’un ni l’autre. Ce n’est pas une représentation de quelque chose. Je ne cherche pas une forme, elle vient par le processus lui-même, par la circulation entre la matière et les gestes de taille, de l’oscillation entre les formes ou les informations que j’émets et celles que je perçois du bois, matière vivante, chargée de mémoire. 
Être comme suspendue entre les forces. Une traversée dégagée des mots et des images où les appuis se créent et s’effondrent au fur et à mesure que se produit une forme. La sculpture se clôt sur elle-même mais elle n’est pas un objet fini, elle est arrêtée à un temps donné : la fin de l’expérience. 
Passerelles et pilotis. Ces deux éléments sont des figures esthétiques qui ont formé mon paysage d’enfance. Dans de nombreuses cultures, les pilotis sont des éléments d’habitats, de protection envers la nourriture ou les animaux. Ils sont symboliquement très forts et peuvent avoir un lien au sacré. Ils sont une façon d’intégrer le milieu ; de changer de point de vue ou d’aller d’un point à un autre. De se relier les uns aux autres. Ou pas. C’est aussi une façon de s’ancrer au sol, en densité, sans peser lourdement sur la terre. 
Pilotis et passerelles sont des éléments récurrents dans mon travail. Ils sont venus questionner un rapport au sol, à l’équilibre, à la continuité entre les choses ; qui sont aussi des questions de posture, de façons d’être. Il y a questions sur notre façon d’habiter le monde, de nous y comporter. Notre façon de prendre ou de vouloir posséder. Ou pas. Notre rapport aux savoirs-faire primordiaux et à la survie / au risque. 
Par mon intentionnalité, les pilotis que je travaille deviennent aussi des pattes. Les formes qui émergent sont entre animal, végétal et minéral. 
Méandres, sinuosités, deltas, falaise, lagune, bassins. Chemin, route, veine, rivière. Ces notions engagent un vocabulaire extrêmement riche, notamment en terme d’énergie. En corollaire des sculptures, j’ai entamé une recherche en peinture - avec un temps et une énergie très différente de la taille et une approche photographique. Par la peinture je peux voir ces formes, les approcher. Je travaille la matière et le dessin. Ce sont des esquisses à travers lesquelles j’explore graphiquement et picturalement deltas, falaises, lagunes, méandres, bassins. Chemin, route, veine, rivière. 
Entre peintures et sculptures, c’est l’émergence d’une zone lisière. Une façon d’être en porosité. C’est une zone fragile, protégée, politique (dû aux activités humaines, sinon c’est un écosystème, par définition auto-suffisant). Une zone en marge, inconstructible, instable, en oscillation constante. Une zone où l’intervention humaine est conditionnée par son attention, sa nécessité d'être dans cette oscillation avec le vivant et le non-humain. Il doit considérer beaucoup de choses, pour faire équipe. De cette coopération on trouve une beauté.
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